A propos de l'art inuit

La sculpture inuit en bref


Cape Dorset (Kinngait) : épicentre de la sculpture et des arts graphiques inuit.

L’inuktitut, la langue des Inuit, ne comporte aucun mot pour exprimer le concept «d’art». « Aujourd’hui, le mot que l’on emploie pour désigner l’action de sculpter est ‘sananguaq’ ou ‘sananguagaq’ qui possède une étymologie significative : ‘sana’ veut dire ‘faire’ et ‘nguaq’ se rapporte au concept de ‘modèle, imitation, ressemblance’. » En outre, dans certaines régions de l’Arctique, « nguaq » signifie « petit ». Par conséquent, le terme « sananguaq » offre une définition qui s’applique plutôt bien à la sculpture en général et qui pourrait se résumer ainsi : la représentation ressemblante ou l’imitation, dans un format plus petit, d’une certaine réalité, d’une fiction et même d’un récit, par exemple un mythe ou une légende.

Lorsqu’on parle de sculpture inuit, on fait surtout référence aux sculptures contemporaine et post-contemporaine qui englobent les œuvres réalisées à partir des années 1948-1949 jusqu’à nos jours. En effet, en 1948, un jeune artiste de Toronto du nom de James Houston se rend à Port Harrison (aujourd’hui Inukjuak) au Nunavik, où il découvre avec passion la sculpture inuit. Il se voit offrir quelques pièces et en acquiert d'autres qu’il s’empresse de montrer dès son retour dans le « Sud ». L’engouement pour ces sculptures est immédiat et un véritable marché s’amorce. Dans les années qui suivent, Houston parcourt le Nunavik à la recherche de sculptures. Il encourage l'émergence de nouveaux talents et contribue ainsi au développement de cette nouvelle économie basée sur cette forme d’expression.

Au début des années 50, l’essor de ce marché tombe à point nommé. La traite des fourrures n’étant plus aussi lucrative que par le passé, les Inuit, et principalement ceux qui ont commencé à se sédentariser, trouvent dans la sculpture une nouvelle possibilité de revenus. Ils représentent la faune qui les entoure ainsi que diverses scènes de la vie quotidienne coutumière. En moins d’une décennie, on voit également apparaître des œuvres s’inspirant de légendes et de récits mythiques. Dans l’esprit des non-Inuit du Sud, il s’agit de sculptures « traditionnelles » mais, pour les Inuit, toutes ces sculptures résultent directement de cette nouvelle demande. Il ne faut cependant pas s’imaginer que les Inuit ne sculptaient pas avant le milieu du 20e siècle. En fait, même si le commerce des sculptures au Nunavik se développe principalement après 1948, les Inuit utilisaient déjà, au 19e siècle, la sculpture comme monnaie d’échange, notamment avec les baleiniers qui accostaient sur leurs côtes.

Bien avant l’arrivée massive des « Blancs », les Inuit entretenaient un mode de vie semi-nomade. Ils vivaient de chasse, de pêche, de cueillette et se déplaçaient sur leur territoire en fonction des troupeaux de gibier et des saisons. Ils devaient travailler tous les jours de façon ardue, afin d’assurer leur survie. Chacun avait ses fonctions, jeune comme moins jeune. Par conséquent, on peut imaginer qu’à l’époque, les Inuit ne s’adonnaient à la sculpture que lorsque les conditions météorologiques les empêchaient d’aller
à la chasse ou que, profitant du passage d’étrangers, ils souhaitaient échanger leurs oeuvres contre des biens venus d’ailleurs.

Avant 1948, la sculpture inuit était surtout de nature fonctionnelle. Les Inuit sculptaient dans le but de fabriquer des outils de chasse ou de pêche, entre autres, des ustensiles, divers récipients et des jouets qui leur servaient au quotidien. Néanmoins, certains de ces objets pouvaient avoir une valeur esthétique en plus d’être utiles. Le « qulliq », la lampe à huile taillée dans la stéatite, en est un bel exemple. Il leur arrivait également de créer des pièces figuratives, mais il apparaît que la majorité de ces pièces étaient de dimensions réduites, peut-être en raison du mode de vie nomade de leurs créateurs, mais aussi de la nature magico-religieuse de certaines d'entre elles.

Les fouilles archéologiques réalisées en Arctique ont démontré que les ancêtres des Inuit actuels (les Thuléens et, bien avant eux, les pré-Dorsétiens et les Dorsétiens) sculptaient déjà. Selon les époques, ils sculptaient des têtes de harpons, des figurines ainsi que des amulettes. Ils utilisaient non seulement la pierre, mais également l’ivoire, l’os, l’andouiller, de même que le bois flotté qu’ils trouvaient sur la berge.

Bien que tous ces matériaux soient toujours utilisés par les sculpteurs du Nord, lorsqu’on pense à la sculpture inuit, habituellement, la première chose qui nous vient à l’esprit, c’est la « pierre à savon ». Le terme « pierre à savon » désigne en fait diverses pierres de la famille de la péridotite. Ces pierres d’origine métamorphique sont principalement composées de talc minéral issu du silicate de magnésium. Ce sont des pierres particulièrement tendres, qui se travaillent facilement et dont la texture peut, en quelque sorte, rappeler celle du savon. Au Nunavik, on trouve majoritairement de la stéatite, de la serpentine et de la serpentinite. Ces pierres sont parfois grises, parfois vertes, selon la concentration d’olivine qu’elles contiennent. Alors que les pierres vertes ne sont que polies, les sculpteurs recouvrent habituellement les pierres grises d’une cire (souvent du type « cirage à chaussures »). D’autres pierres peuvent également être utilisées. Par exemple, à l’extrémité nord du Québec, près d’Ivujivik, on trouve une pierre calcaire de couleur ocre. Aux dires des sculpteurs, de manière générale : plus la pierre est dure, plus belle est la sculpture qui en découle...

Anciennement, les Inuit fabriquaient leurs outils à sculpter avec ce dont ils disposaient: pierre, os, bois flotté, etc. Puis, lorsque les premiers non-Inuit sont arrivés au Nord, les Inuit ont découvert le métal, qu’ils échangeaient ou qu’ils récupéraient parfois sur les épaves échouées, et avec lequel ils ont pu fabriquer de nouveaux outils. Aujourd’hui, certains sculpteurs utilisent des outils mécaniques et des meules électriques. Cependant, quelle que soit l’époque, l’ordre séquentiel des outils utilisés demeure le même. On dégrossit la pierre à l’aide d’une hache ou d’une herminette jusqu’à dégager les principaux volumes de la sculpture. Puis on définit les volumes et les détails à l’aide de couteaux et de gouges. On lime pour aplanir ou arrondir les formes. Ensuite, on sable et on polit avec des abrasifs (aujourd’hui, on emploie du papier d’émeri), en progressant à partir du plus rude au plus doux. Si désiré, pour compléter la finition, on cire et on ajoute les derniers détails.

La sculpture inuit diffère selon les régions : Nunavik, Nunavut, Alaska, Groenland. Au Nunavik, par exemple, on remarque un esprit narratif particulièrement prononcé. En outre, la présence de nombreux détails, plus ou moins réalistes, enrichit les diverses scènes de la vie quotidienne, les personnages et les animaux sculptés par les Inuit du Nunavik. L’œil averti discerne un style prédominant d’un village à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre. Ce dernier est parfois associé à la coloration ou à la texture de la matière première disponible dans la région, ou encore à une manière de faire spécifique, ou à une thématique particulière. Chose certaine, comme dans tout art, chaque artiste, homme ou femme, développe ensuite son propre style et ses thèmes de prédilection.

Source : www.avataq.qc.ca